Antoine Cegarra

Antoine Cegarra

A l’éprouvante question « Que fais-tu dans la vie ?«  , j’ai tendance à répondre « je suis dans le théâtre« . Réponse qui m’isole en un lieu dont je serais à la fois l’habitant temporaire, l’hôte et le parasite.

Je suis dans le théâtre, j’en arpente les pièces, les couloirs, les coursives. J’y ai fréquenté des espaces exigus portant la mention « école d’art dramatique« , et me suis perdu avec plaisir dans certaines bibliothèques dites de l’université. Je joue, je suis acteur comme on dit. J’ai fait beaucoup de belles rencontres, comme celle de Sylvain Creuzevault que j’accompagne depuis 2007 (Le père tralalère ; notre terreur ; Le capital et son singe).

Très vite, je mets en scène, déplace les parois, m’invente un lieu secret. D’abord avec les mots des autres, puis en 2008 je saute le pas et libère un de mes textes. Cela s’appelle Wald et ça dure une nuit entière, jusqu’à l’aube. A partir de là, mon écriture apparaît dans tous mes projets. Je suis toujours dans le théâtre, mais je m’intéresse de plus en plus à la danse, à la performance, aux espaces intermédiaires, aux états flottants. Ma pratique dérive. Je pars à l’aventure, je suis des stages de danse, je participe à des dispositifs qui questionnent le corps et ses savoirs (Autour de la table à Berlin en 2011, Festival Tanz Im August), à des films expérimentaux (Oh ! Leviathan de Mathieu Bouvier, dans le cadre du projet européen Edition Spéciale aux Laboratoires d’Aubervilliers), je marche à la lisière des disciplines, je guette la pensée où qu’elle affleure et aspire aux déséquilibres.

En 2010 je créé Pierre, solo de danse pour un acteur, et en 2012 L’Heure Bleue, conférence performée, deux projets créés au Théâtre de Vanves. En 2011/2012 j’organise une série de sessions de recherche réunies sous l’intitulé ZZZZZ Les parois neigeuses, Petit traité de combustion à l’usage des déserteurs et autres étudiants en art. A ce jour cette recherche poursuit son cours en lac souterrain. En mai 2012, je participe aux Rencontres internationales de jeunes créateurs au Festival TransAmériques à Montréal.

Je continue ma marche et l’écriture s’étend, s’immisce dans tous les recoins de mon corps. Pièces dramatiques, matériaux performatifs, fictions littéraires, conférences picturales…, je renonce à toute entreprise de définition au profit d’un obscur et empirique laisser-faire-à-la-va-comme-je-te-pousse. Hormis ce que je cache, je suis positivement l’auteur de ParadisO (inédit 2005), Wald (création 2008), L’Heure Bleue (création 2012), Là est ma maison (lecture et installation vidéo au DomaineM à Cérilly 2012). La Théorie de l’Hydre, texte en cours d’écriture (commande de la compagnie Serres Chaudes), sera mis en scène par Coraline Cauchi en décembre 2015 à La Loge à Paris.

La Théorie de L’Hydre

Un homme déploie une parole solitaire, au fil d’une mémoire dispersée. Cet homme vit dans un monde en crise, il habite cette Grèce aujourd’hui au coeur de toutes les humiliations et de toutes les attentes. Il évoque les liens qui unissent les vivants et les morts, les multiples rituels qui ordonnent le passage vers l’au-delà, et leur marchandisation. Car son métier le lie singulièrement à ce commerce : il est nettoyeur de scènes de morts. En cas de suicides, décès accidentels, meurtres…, il intervient pour rendre aux lieux leur propreté, faire disparaître toute trace des disparus. Au fil de son récit se mêlent notre époque actuelle, cruelle et vacillante, les souvenirs d’un monde disparu et les descriptions rêveuses de la formation de l’univers.

C’est un Ulysse sans terre – tout a été vendu, est à vendre, se monnaye au pays où l’on peut tout devenir. Alors pourquoi pas nettoyer les tâches visibles de l’irréparable ? Comme une manière d’insister, de frotter encore, une dernière fois, pour faire apparaître les os et leur lumineuse blancheur, comme les astres dispersés de civilisations disparues.