Jean-Baptiste Navlet

Jean-Baptiste Navlet - ©NihilIDENTITE

Lorsqu’en naissant, j’ai confirmé mon existence, mes parents, comme il se doit, m’ont apposé un nom dessus cette existence, Jean-Baptiste Rodrigue Jacques Fernand Navlet, se servant pour le composer de leurs propres noms et de ceux des proches parents, eux-mêmes titulaires d’un nom, et me l’ont enguirlandé autour du cou. L’officier de l’Etat-Civil, doté lui aussi d’un nom, comme il se doit, a scellé la chaîne de mon nom en me la soudant aux cervicales et c’était fait, j’étais dûment nommé. Lorsque j’ai commencé à écrire et surtout à faire lire, je me suis donné des noms, d’autres noms ; des noms propres – propres aux textes. Mes textes n’ont rien à voir avec Jean-Baptiste Rodrigue Jaques Fernand Navlet. Mes textes et mes traductions émanent de Glaüx, de Glaüx-le-Chouette, de Jean Delesquif, de Glo, du Haineux et de [222], qui parfois souhaite qu’on orthographie son nom [ccxxii], car elle est pénible et tatillonne. Seuls ces noms valent.

Très peu nous importe dès lors de savoir que Jean-Baptiste Rodrigue Jacques Fernand Navlet soit né dans une ville moyenne et l’ait quittée pour un village de quatre cents âmes retraitées et dialectophones ; qu’il ait fourni l’effort d’études littéraires et de travaux en épigraphie sur les épitaphes de morts au combat de la Grèce archaïque et classique ; qu’il soit myope et astigmate, chauve et que son incisive centrale gauche de la mâchoire du bas soit brisée. Rien de tout cela et du reste n’est caché, ni interdit d’accès, mais tout est dépourvu d’intérêt.

D’autres objets plus dignes de voyeurisme sont accessibles librement sur internet, qui regorge de sites pornographiques de bon aloi.

* * *

[ccxxii] est l’auteur des Litanies et des Dialogues qui sont devenus, dans leur titre provisoire, Un Long coma délicieux, présenté à l’édition 2015 de Texte en Cours. Elle est née pour libérer Glaüx de l’attention excessive qui se portait sur ses textes, pour qu’on lise un peu ces derniers pour eux-mêmes et qu’on fiche un peu la paix au premier. A lire ses textes et ses interventions sur internet, elle semble être un individu féminin, âgé d’environ vingt cinq ans lors de l’écriture des premiers brouillons, certainement d’un peu moins d’une trentaine d’années aujourd’hui. Ancienne anorexique, elle aurait survécu et porterait cette croix depuis. On n’en sait pas beaucoup plus à ce jour.

Glaüx est un surlittéraire qui se la pète, selon la définition collégiale des membres de la Zone (http://lazone.org) dont il est lui-même co-admin. Il semble avoir écrit une soixantaine de textes, plus une bonne série de collaborations (les Serial Edits, la série n3rDz), quelques milliers de contributions de forum et de commentaires de textes du site. Ses préoccupations recouvrent essentiellement la violence contre soi-même, la violence contre autrui, l’alcool, le désenchantement, la crasse et ta mère. Lui est attribuée entre autres la nouvelle Le Grand soir (http://www.lazone.org), présentée aux Jeux de la Francophonie 2009 à Beyrouth (mention spéciale du jury), et dont les exégètes s’accordent à juger qu’il est aussi narrateur. Produisant désormais lui-même ses alcools, il est devenu plus discret et moins productif textuellement les derniers temps.

Delesquif est un ancien étudiant « en Lettres, comme beaucoup, mais en Lettres Classiques » ; il y tient. Son style, lourd et ciselé jusqu’au pénible, l’aura néanmoins conduit aux Jeux de la Francophonie 2005 à Niamey, avec la nouvelle Le Doigt de Dieu (médaille d’argent en Littérature, http://www.lazone.org/articles/1320.html), et au préalable au prix du CROUS en 2004 (ou 2003, l’Histoire ne s’en souvient pas), ce prix donnant lieu à une publication dans un recueil très justement intitulé Ridicule (ceci, l’Histoire en garde une trace très morale et signifiante). On lui attribuerait du reste la création et l’administration du site Les Suites du phénix, recueil des textes des candidats en Littérature aux Jeux de la Francophonie de 2009 et plate-forme de création francophone pendant deux ans, avant de fermer faute de contributeurs encore en vie ou aptes à s’exprimer et écrire.

Haineux est un connard, peu nous importe son existence.

Glaüx-le-Chouette est un gentil garçon incapable de pensée personnelle et de création, il traduit donc des comic strips absurdes et anglophones pour les éditions Lapin (http://editions.lapin.org) : Bigger Than Cheeses de Desmond Seah (un volume paru, pire opération commerciale de l’histoire des éditions Lapin) et Dinosaur Comics de Ryan North (non édité, pas éditable).

D’autres ont disparu, Glo par exemple (quelques textes, quelques critiques littéraires ou de metal) ; d’autres viendront.

* * *

Quant à l’apparence physique, de manière à contourner l’impuissance mentale contemporaine à lire un livre pour lui-même ou du moins, à interdire de facto l’assimilation d’un texte à son auteur et plus précisément à la tronche de son auteur, de manière également à rendre justice à tous les avatars encore en vie, de manière enfin à retarder le plus possible, dans l’intellect du lecteur, la transformation du nom d’auteur et de son image en marque commerciale identifiable et castratrice, on préférera s’en tenir à une photo (ci-jointe) sans yeux, sans oreilles et sans bouche. Du même photographe (nihil, que je remercie : http://www.nihil.fr/), on trouvera une seconde version dépourvue d’avant-bras, mais aussi d’autres portraits de l’auteur en mendiant, de l’auteur en masque à gaz, de l’auteur en moine ou de l’auteur en mutilé de guerre, qui conviendront tout aussi parfaitement pour rendre compte de cette vérité : toute biographie d’auteur et toute photographie d’auteur est un crime contre les textes.

Seul le texte vaut.

* * * * * * *

Un Long coma délicieux

Un Long coma délicieux (titre provisoire), qui emprunte son titre à Samuel Beckett, est issu des Dialogues et Litanies de [222]. Sans ambition autre que de dire ce qui demande à être dit, [222] , jeune ascète, y déployait son langage au plus près possible de ses perceptions et de ses mouvements intérieurs, exprimant face à des interlocuteurs prétextes son mal de vivre avec eux et son bonheur à vivre seule en quête de perfection physique et mentale, et démolissant autant que possible les vieilles définitions externes de l’anorexie pour les remplacer par l’explication, de l’intérieur, de ce qu’elle vivait vraiment. Puis elle a vieilli, et perdu la bataille, et mangé à nouveau. Un Long coma délicieux se situe après cette défaite, après la sortie de l’anorexie, et en portera les stigmates stylistiques : du quasi monologue et des litanies solitaires, on y passera au vrai dialogue, et du silence mis en mots, au vacarme habituel du langage commun.

Bref, [222] est une jeune prétentieuse aux projets abscons et pleins de verbiage, jadis bouffie d’orgueil et de pas grand chose d’autre, désormais bouffie tout court et somme toute, d’orgueil néanmoins, mais en ruines.