“En vain dans la tiédeur de votre gorge mûrissez-vous vingt fois la même pauvre consolation que nous sommes des marmonneurs de mots.
Des mots ? quand nous manions des quartiers de monde, quand nous épousons des continents en délire, quand nous forçons de fumantes portes, des mots, ah oui, des mots ! mais des mots de sang frais, des mots qui sont des raz-de-marée et des érésipèles et des paludismes et des laves et des feux de brousse, et des flambées de chair, et des flambées de villes” (Césaire)
Ma première naissance au théâtre s’est faite par le Verbe : la diction, à 16 ans, en 2008, dans la Cathédrale d’Antibes, pour le Printemps des poètes, d’un poème de Desnos – de cette déflagration multiple, entre liturgie et parole poétique, naît tout le reste.
Etudes à Sciences Po. Théâtre en parallèle. Cela devient très vite l’inverse. Les conservatoires d’arrondissement (Centre avec Alain Gintzburger, puis XIIIè avec François Clavier), et surtout l’aventure de compagnie, prennent le pas.
Mises en scènes amateurs, de Federico Garcia Lorca : Noces de Sang à Paris en 2010, et La Maison de Bernarda Alba en 2011, à Vassar College aux Etats-Unis. Déjà, l’envie d’une vibration scénique, chaude et puissante, de transmettre, un souffle incandescent, une pulsation tellurique et ancestrale.
Retour des Etats-Unis en 2012, adaptation et première en France d’une pièce pourtant d’une grande notoriété dans le monde anglo-saxon : L’Homme-Polochon d’après The Pillowman de Martin McDonagh. Poursuite des tentatives de mise en scène avec Un Echange, en 2013, montage de textes poétiques autour de la pièce de Claudel. Redonner à la poésie sa place comme centre d’une vision du monde. Réunir le Novalis, de « la poésie, c’est le réel absolu » et le Bonnefoy de « La poésie, c’est l’intense. »
A la suite de ces tentatives, assistanat auprès du metteur en scène Gérald Garutti sur les Carnets du Sous-sol (Paris, puis The Print Room (Londres)), avec Harry Lloyd, acteur de Game of Thrones), et Lorenzaccio, avec Stanislas Roquette, Maximilien Seweryn, Olivier Constant, …
Et début de l’écriture : d’abord un recueil de poèmes, Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes dévorés par le feu, rencontre improbable entre l’héritage de Léo Ferré et la musique techno.
Variations autour de la nuit et de ses métamorphoses. Contre-jours. Ombres et lumières. Nous multiples : du couple passé. Des écorchés. Du couple à venir. De toutes les mains tendues pour tenir.
Feux multiples : feu dévorant, soif d’absolu. Feu sacré. Consumation forcée et imposée par les carcans incendiaires qui nous réduisent en cendres.
En empruntant le titre à Debord, en multipliant les références à Cendrars, Rimbaud, Lorca, Desnos, Jim Morrison, Lautréamont, Cantat, T’Sterstevens, Martinet, Bukowski, Breton, Jean-Louis Curtis, Michniak, Abu Nawas ; dire les failles intérieures, en même temps que les craquelures de ce début de siècle.
Chercher une manière d’habiter poétiquement le monde. Qui est volonté d’introspection, réhabilitation des « espaces perdus », affirmation d’une dimension transcendantale qui réenchante le monde, lui redonne ses espaces rituels et sacrés.
C’est pour cela qu’en 2014, j’ai écrit le poème dramatique Et je vis le regard des Chats Sauvages. M’appuyant, pour la fable, sur le conte amérindien de la Perle de Steinbeck, je cherchais à dire autant les plus profondes ténèbres de la nature humaine, la convoitise des êtres, que les possibilités lumineuses de l’amour. A composer une méditation sur la mer et le rivage qui soit questionnement sur l’éternité, la verticalité des êtres, mais aussi chaude évocation d’une nature sauvage. (Prochaine reprise : Juillet 2015 à la Chapelle Saint-Louis à Avignon.)
Car je reste intimement convaincu que même un rejet, même un refus, doit s’accompagner d’éléments salvateurs et porteurs d’espérance – « mieux vaut allumer une bougie que maudire les ténèbres ». Que l’embrasement devant le terrible du monde doit s’accompagner de l’embrassement de sa beauté – son foisonnement, son fourmillement, son flamboiement.
Alors, Nous irons pieds nus comme l’Ire des Volcans : dans l’embrasement, dans le feu.
En cherchant à faire sienne cette devise : A la vérité, la tyrannie du visible fait de nous des aveugles, seul l’éclat du Verbe perce la nuit du monde.
Nous irons pieds nus comme l’Ire des Volcans
Nous irons pieds nus comme l’Ire des Volcans est un texte qui convoque l’utopie, qui se lance dans la quête d’horizons, qui rêve au futur.
« L’amour est à réinventer » – une révolution utopique par l’amour, force de vie, bouffée primordiale, bulle d’air contre tous les poéticides.
« Quelle sorte d’espoir mettez-vous dans l’amour ? » inscrivaient en en-tête de leur revue les surréalistes, et ils avaient raison : dans la révolution comme utopie, et dans l’amour comme utopie. Comme force déchirante, comme coup de tonnerre libérateur.
Comme Antigone, qui quand elle revient à Thèbes pour tenter d’apaiser la rivalité entre ses deux frères, le fait pour dire « oui » à la vie, au futur, à la beauté et pour refuser, dans sa robe déchirée, toutes les manifestations de pouvoir. Et incarner la part féminine, celle du poétique, de l’amour sans justification, de la patience.