Bertrand De Roffignac

Bertrand De Roffignac

L’Homme se considère
Par Bribes
– Les Bribes de l’Homme sont de petits jalons fièrement posés,
Revendiqués à demi-voix.
Les Bribes se délient quand s’ouvre la bouche de l’Homme.
Les Bribes se mélangent.
Une grande plâtrée de Bribes brassées –
Bien qu’il ait toujours trouvé cela répugnant l’Homme est prêt à accepter par défaut monétaire Que tous viennent se gaver, se repaître.
Elles ont bon goût ses bribes.
Débordantes d’histoires anciennes,
De chevaliers en armures,
De croisades sanglantes,
De bals endiablés – connotation orgiaque à relever-
De guerres sans fins,
De dîners servis froids, entourés de dorures.

Dans le maniement des Bribes
L’Homme se paye de maladresse.
Il est un funambule impatient
Aux bras tremblants,
A l’équilibre rompu,
Au corps troué de part en part par les chutes successives. Raison bouffée aux mites
Habitude ou plaisir de la désorganisation
Idéologie déclassée sur les bancs de l’école
– Petit Homme, petit Homme –
Choix de l’auto-décadence
Classicisme bourgeois
Néo-Conservatisme
Arbitrage des masses
Excédent communard
Rageusement vôtre.
L’Homme fait respirer les ailleurs avec mépris
– Mépris des hauteurs –
Le tout exprimé
Dans une langue crasse
Pour un monde en manque.
La saleté a son charme
Et son utilité.
Elle est la seule à faire pousser ces plantes là.
Verdure corrompue
Roses diaphanes.
Repensons aux fumiers qui nous ont précédé.
Combien ont été pères?

L’Homme qui articule les Bribes
Fait mourir de rire avec un sérieux crépusculaire
Et trouble aux larmes quand il suppute sur l’humour de M. Toutlemonde. L’Homme subit l’inflexion des temps changeants.
Il se serait bien vu arpenter les rues d’un 19ème siècle crépusculaire
En proie aux contingences et au fascisme naissant.
C’est du moins la vision sur laquelle se projettent catégoriquement,
A chaque fois qu’il découvre son sourire,
Les tenanciers des moeurs contemporains.
L’Homme se verrait bien mourir d’une tachycardie fulgurante et mystique.
Il verrait bien son coeur exploser en plusieurs centaines de morceaux fumants, Pour parasiter les moteurs du réel.

L’Homme est né avec un coeur d’oiseau
Et les géants qui remuent les montagnes ont volé son oeuf.
Ils l’ont couvé dans leur cul de géants
– Bien trop chaud –
Et lui ont chuchoté des mots qui cisailleraient les ailes des rêveurs les plus acharnés.
L’Homme s’écrit par Bribes
Comme un mets délicieux
Et délicieux il l’était
Il l’a été
Sûrement avec l’âge il prendra un goût rance
Sûrement avec l’âge il se plaira à égarer la jeunesse
Sa jeunesse
Et se confondre lui-même
En attendant
Son monde se creuse d’une inquiétude sans bornes.
Comme tous ceux de sa génération malodorante
L’Homme connait la particularité de son héritage
Non consulté par l’Histoire
L’Homme est le fruit juteux
Qui pousse sous la caresse des smogs maniaques d’une âme en manque
Et dans cette pollution
L’Homme songe
Par Bribes
Il songe
Au grognement des astres
Qui s’improvisent flambeaux
Des nuits de solitudes
Aux Explosions de lumière
A l’acier écumant
Aux rayons brise-frontière
Cailloux, Bâtons, Sabres, Mousquets, Canons, Fusils,Torpilles, Missiles, Bombes A, Bombes H, Caresses, Baisers, Râles, Chaleurs, Etreintes, Spasme, Erections, Libertés, Orgasmes, Cendres Bribes de l’Homme en devenir

 

Historique succinct de Bertrand de Roffignac:

– Entrainé dès son plus jeune âge sur les routes pour des tournées musicales et théâtrales il restera notamment marqué, à son adolescence, par le temps passé à côtoyer la troupe du Théâtre du Soleil.

– Intègre le Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique en 2013

– Crée en 2015 le Théâtre de la Suspension dont il est l’actuel directeur artistique

– Met en scène en 2015 avec le Théâtre de la Suspension Cela S’appelle La Tendresse adaptation de la pièce Les Justes d’A. Camus.

– A sa sortie du Conservatoire il travaille notamment au théâtre sous la direction d’Olivier Py et au cinéma avec le réalisateur Yann Gonzalez

 

FOUR CORNERS OF A SQUARE WITH ITS CENTER LOST

MERCREDI 3 MAI 2017 – 19H15 – CDN HTH

Ils ne s’étaient pas vus depuis dix ans,
Ni le Père, froid,
Ni Sarah la plus petite qui est restée,
Ni les trois autres qui sont partis.
Pas les jumeaux : Ivan, interne neurologue,
Et Jeanne, animatrice télé.
Et bien sûr, pas Guillaume : technocrate brillant, Presque tué par balle un jour de novembre,
Tout juste sorti de l’hôpital…

Les voilà réunis autour d’une soupe, dans une de ces vieilles maisons familiales de campagne où l’on apprend à être adulte, à émousser l’amour, à le teinter de peine, de jalousie.
Une cuillère, puis deux, puis vingt, et puis le Père s’effondre, mort.
Commence alors entre les quatre enfants un long règlement de comptes, chacun brillant dans sa façon de faire mal, de nier, de se taire…

Mais bien vite leurs retrouvailles leur échappent.
Maintenus là par une force mystérieuse, leur dispute s’émaille de phénomènes surnaturels et magiques, jusqu’au choc : quand leur père brutalement se réveille et décide de les entraîner dans un dernier voyage en famille. Les voilà tous les cinq partis pour une percée vers “l’inframonde”, où semblent s’être enfouis les scènes, les délires, les pulsions de leur passé.
Une route étrange dans une forêt morte.
Un karaoké infernal.
Ce sous-sol où nul n’osait descendre.
Et puis les rêves, qui les liaient dans leur étrangeté.
Dans ce sous-monde au revers du nôtre, se succèdent les épreuves qui leur coûteront leurs faux- semblants, leurs faux-espoirs.
Progressivement la fratrie est contrainte à prendre le pouvoir sur l’inframonde, d’organiser à l’échelle de l’au-delà ce qu’elle échouait à faire au quotidien.
S’ils en ressortent, ils en seront changés. Vivants. Pour la première fois.

 

Note d’Auteur

Avec Four Corners of a Square with its Center Lost il s’agit de mettre en place un processus de travail qui consisterait à aborder des thématiques universelles dans une mise en jeu de l’intime: un huis-clos familial confronté à des évènements politiques concrets, comme la campagne présidentielle qui se déroule en ce moment en France par exemple.

Pour cela j’ai fait le choix d’un travail d’écriture de plateau que chaque pôle artistique (vidéo, magie, musique, scénographie, maquillage, machinerie, effets spéciaux…) pouvait enrichir.Progressivement, il m’est apparu que nous ne pouvions nous contenter d’improvisations dirigées, et qu’un texte écrit devait venir condenser et fédérer la parole de tout le spectacle.

Après avoir imaginé une certaine quantité de tableaux en amont je me suis attaché à découvrir et rechercher les « visions » de mes collaborateurs afin de nourrir des séances de travail qui à leur tour apportaient une matière précieuse pour l’écriture.

Quatre motifs nous ont guidé dans la confection du récit : Violence, Génération, Héritage, Perpetuum Mobile.
Cet ensemble s’accorde et réagit dans notre exploration à un postulat de départ ; celui du « coup de couteau », la manière dont un groupe, une fratrie, une jeunesse choisit de mettre fin à un cycle, par l’évaporation et l’assassinat des figures tutélaires qui régissaient jusqu’alors les règles de son monde. Cette mise à mort à la fois physique et symbolique devient l’occasion de se réunir autour d’un acte fondateur, de décréter son existence pleine.

Dans notre intrigue chacun des quatre enfants fonctionne comme le totem d’une forme d’existence occidentale. L’homme de science. Le politique. La figure médiatique. Celle enfin restée au plus près de ses racines, prenant en charge l’absence de sa fratrie et l’héritage de la terre.
D’un côté, on retrouve chez chacun l’envie irrésistible de se payer de mots pour masquer le nihilisme ambiant, là où la réussite personnelle, dernier pompon miteux d’une société en dérive, finit de perdre sa superbe.

De l’autre, ce besoin refoulé de faire triompher sa vision du monde, et de raser au passage l’État, les traditions et ce que des millénaires de civilisation ont péniblement maintenu en équilibre.
Deux tranchants d’une même lame : ce couteau qu’une génération plante dans le dos de celle qui l’a précédée.

L’enjeu ?
Par l’introduction du réalisme magique et du merveilleux, croquer d’un trait ample et jouissif la carcasse de notre époque. Bousculer les codes de la fiction et fabriquer une poétique vive, fonctionnelle.
C’est là aussi notre “coup de couteau”. Nous avons vu nos aînés choisir les mots ou la plastique scénique. Nous voulons les articuler ensemble. Par l’intégration précise d’une machinerie complexe (magie, projections holographiques, décor interactifs, vidéo 360°), nous soulignons d’abord l’habituel dialogue de personnages, pour créer ensuite un ensemble de situations où les lois de la physique et la psychologie cessent d’avoir cours – c’est l’inframonde, espace de tous les possibles atteint dans un premier temps grâce au retour d’un fils prodigue, dans un second par la mort du père et, dans un troisième, par la résurrection (fantasmée ? réelle?) de cet homme et des souvenirs de sa famille.